Pourquoi les artisans et les industriels multiplient les demandes pour obtenir une indication géographique

Quel est le lien entre le couteau de Laguiole, les pierres du British Museum et les bottes camarguaises ? Toutes trois ont été homologuées "indications géographiques" en 2024 par l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), aux côtés de la dentelle de Calais-Caudry, de la pierre de Vianne et de la pierre de Paussac. Six homologations en un an, soit trois fois plus qu'en 2023, et autant qu'en trois ans. Aujourd'hui, 21 IG existent, parmi des pierres, textiles, ou encore objets. Créées en 2016, les IG ont pour vocation à distinguer un produit artisanal ou industriel originaire d’une zone géographique déterminée, qui possède des qualités, une notoriété, ou des caractéristiques liées à ce lieu d’origine.

130 entreprises et 4 000 emplois représentés

130 entreprises françaises bénéficient aujourd’hui d’une indication géographique. Un "marché de niche", selon Antoine Ginestet, responsable des Indications Géographiques à l’INPI, qui représente 4 000 emplois, et environ 350 millions de chiffres d’affaires. La porcelaine de Limoges est la seule IG à concerner plus de 20 entreprises, les autres étant parfois attribuées à moins de cinq entreprises.

L’Indication Géographique, attachée à l’histoire et à la géographie des produits

"Les indications géographiques sont un titre collectif, à la différence d’une marque, explique Antoine Ginestet. Les entreprises rédigent un cahier des charges qui constituent le plus petit dénominateur commun à sa réputation, et le dossier est ensuite examiné par l’INPI". L’institut se plonge alors dans l’histoire du produit afin de revenir à la zone géographique précise où le produit a acquis une réputation, pour déterminer l’aire d’application de l’IG. La procédure dure généralement entre six mois et un an. Une fois l’indication actée par les pouvoirs publics, les entreprises qui souhaitent en bénéficier doivent se soumettre à un audit (pour un coût d’environ 150 euros), et s’engager par la suite à remplir toutes les contraintes prévues par le cahier des charges.

Lutter contre les contrefaçons

Quel est l’intérêt pour une entreprise d’obtenir une homologation géographique ? Les bénéfices d’une IG peuvent être multiples : valoriser son savoir-faire, se différencier des concurrents ou encore augmenter son chiffre d’affaires. Elle a ainsi permis à la pierre de Bourgogne de lutter contre la contrefaçon. "Désormais, les entreprises qui vendent d’autres pierres sous ce nom peuvent être assignées en justice par l’association qui dispose de l’IG. Saisir la justice n’est ainsi plus une affaire individuelle pour les entreprises, et elles peuvent résoudre le conflit de manière non contentieuse, grâce à ce label reconnu par l’État", souligne Antoine Ginestet.

La lutte contre la contrefaçon est aussi ce qui a motivé les industriels des Hauts-de-France à obtenir une indication géographique pour la dentelle de Calais-Caudry. "Pour survivre et tourner, nos PME industrielles ont besoin de volumes suffisants. C’est pour ça que nous nous battons contre la contrefaçon avec cette IG : le peu de marchés que nous avons, nous voulons éviter de les laisser filer", nous expliquait en 2024 Christophe Machu, président de l’association IG dentelle de Calais-Caudry.

Accroître le chiffre d’affaires

Pour d’autres, comme le grenat de Perpignan, l’IG a engendré une hausse de 10 % de son chiffre d’affaires l’année suivante, en lien avec un grand nombre d’actions de promotion.

Frédéric Dudilot, secrétaire de l’Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (UNICEM), y trouve également un atout pour pérenniser l’activité. "La pierre est un marché concurrentiel. On constate que le label de la pierre d’Arudy sécurise l’acheteur. C’est aussi une façon de protéger l’activité et maintenir les emplois : dans une carrière, un emploi direct, crée 4 à 5 emplois indirects", note le secrétaire de la fédération.

L’INPI, rôle de médiateur

L’INPI se charge de traiter les demandes d’homologation reçues et d’arbitrer parfois, entre les différentes associations qui déposent un cahier des charges. Ainsi dans le cas du savon de Marseille, cinq associations ont déposé trois cahiers des charges différents, et toutes les demandes ont pour le moment été rejetées. Pour le couteau de Laguiole, l’homologation a été attribuée à l’une des deux associations à en faire la demande, et refusée pour l’autre, jugée extérieure à la zone historique de production. "L’essentiel est de cerner le périmètre dans lequel l’activité s’effectue et a acquis sa notoriété. Là où, pour les AOP, toute la production est locale, il arrive parfois que les matières premières viennent de l’extérieur pour les IG. C’est le cas, lorsque le gisement originel de l’activité s’est tari, et a engendré un déplacement des entreprises", relate Antoine Ginestet, soulignant la difficulté à établir le périmètre. L’institut prend soin de "fédérer les acteurs de la filière autour du cahier des charges", et reste "très attentif à ce que ce ne soit pas un cartel qui monopolise la labellisation", ajoute le responsable des IG. Un rôle d’arbitre nécessaire pour garantir une concurrence équitable.

Et à l’avenir, combien d’indications géographiques ?

Une trentaine de dossiers différents sont actuellement en examen à l’INPI, parmi lesquels le béret basque et la pierre de Fontbelle. Antoine Ginestet estime qu’à l’avenir, "entre 50 et 100 produits" pourraient se doter d’une IG. Cette dénomination devrait également être reconnue par l’Union européenne au cours de l’année 2025.

Source d'information
Le Journal des Entreprises
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Lubos Houska, Pixabay